Le timing et le tempo : ces choses-là comptent lors d’une visite diplomatique. Illustration avec la visite express et comme à contretemps (les esprits étant tournés vers la Russie) du ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, en Israël et dans les Territoires palestiniens depuis dimanche soir.
Le timing : on s’attendait à voir Le Drian dans ses petits souliers, entre la tâche quasi impossible de convaincre le Premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, d’envisager un compromis pour sauver l’accord sur le nucléaire iranien – plaie absolue pour « Bibi » – et cette étrange histoire d’employé consulaire français à Jérusalem, qui aurait avoué s’être adonné au trafic d’armes entre Gaza et la Cisjordanie pour quelques bakchichs en dollars.
Finalement, le plus indisposé fut Nétanyahou, bousculant le tempo protocolaire. La rencontre entre le ministre français et le leader israélien ne fut confirmée que tardivement, et en termes vagues. C’est que Nétanyahou était « contraint par son agenda personnel », comme l’a très diplomatiquement (c’est un métier) évoqué l’entourage d’un Le Drian mutique, fumant clope sur clope. Soit un énième interrogatoire matinal de la police à sa résidence (le deuxième dans l’affaire Bezeq, le neuvième si l’on regroupe les quatre affaires de corruption visant Nétanyahou actuellement). Pas le genre d’entame favorisant un mood conciliant.
« Mêmes combats »
Déjà peu adeptes des échanges avec la presse, les officiels israéliens ont décidé de ne pas convier les journalistes à l’issue de la rencontre avec le chef de la diplomatie française, si ce n’est un micro-pool constitué de l’AFP et d’une caméra du gouvernement israélien. Timing toujours : les attentats dans l’Aude ont permis à Nétanyahou de remettre Israël et la France sur la même ligne, celle de la lutte contre « le terrorisme qui accable notre monde ». Avec, comme toujours, l’Iran au cœur du mal, même si la connexion entre jihadisme low cost au nom de Daech et Téhéran est tout sauf logique. Après une visite matinale au Mémorial du Yad Vashem, Le Drian a pourtant choisi de suivre cette partition, avec en tête le meurtre sordide d’une rescapée de la Shoah à Paris : « Nos combats fondamentaux sont les mêmes : à la fois le combat contre le terrorisme, le combat contre l’antisémitisme et le combat pour la sécurité de la région. » Pas un commentaire sur les Palestiniens, le processus de paix trumpisé au point de l’abstraction et surtout l’Iran.
Selon les médias israéliens, il en a pourtant été beaucoup question. Nétanyahou a rappelé l’ultimatum de Trump, qui menace de « décertifier » voire tout simplement de sortir d’ici le 12 mai du protocole international sur le nucléaire iranien, signé par son prédécesseur Barack Obama, si ses « terribles défauts » ne sont pas corrigés. Pour « Bibi », la fraîche nomination du faucon John Bolton en tant que nouveau conseiller du Président américain est comme la fumée blanche un jour d’élection papale : la confirmation que l’accord est mort. Sauf si Trump et Nétanyahou parviennent à avoir gain de cause sur trois amendements : des sanctions sur le programme balistique iranien, une inspection plus sévère des « sites sensibles », et l’interdiction de la reprise de l’enrichissement de l’uranium, normalement possible neuf ans après la signature de l’accord.
A Téhéran, Le Drian s’était déjà heurté à l’intransigeance des Iraniens, qui n’envisagent aucune révision des paramètres du protocole. A Jérusalem, selon le journaliste local Barak Ravid, canal de transmission officieux de la diplomatie israélienne, on a fait comprendre aux Français que sur ce point, mieux valait se ranger derrière le fait accompli, soit les Américains. Le ministre des Affaires étrangères allemand, Heiko Maas, succédant à Le Drian dans le bureau de Nétanyahou, a eu au moins la franchise de reconnaître le désaccord entre Israéliens et Européens sur cette question, voire d’acter l’échec de ces derniers dans leur tentative de médiation. Le chef de la diplomatie française a lui mis la « stabilité de la région » au-dessus de toute considération dans l’équation.
Plan Trump
En fin d’après-midi, Le Drian s’est rendu à Ramallah, pour un entretien avec le président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas. Un passage obligé à la Mouqataa qui laisse surtout l’impression d’une visite de courtoisie, avec rappels entendus de l’attachement français à la solution à deux Etats et des « menaces » pesant sur celle-ci, de l’expansion des colonies dans les Territoires occupés à la reconnaissance de Jérusalem comme capitale israélienne par Donald Trump. Plus tôt dans la journée, la délégation tricolore s’était arrêtée sur les hauteurs du mont Scopus pour un topo accéléré sur la division de Jérusalem et l’impact du mur de séparation israélien. Le temps d’une photo, Le Drian y a croisé, « par un pur hasard », Avi Gabbay, le leader du parti travailliste israélien (les probabilités que ce dernier ne succède à Nétanyahou restent néanmoins infinitésimales). Impossible donc d’y lire un message à l’attention de « Bibi », qui vient d’échapper de justesse à l’implosion de sa coalition.
Interrogé par un journaliste palestinien à l’issue de son rendez-vous avec Abbas sur la volonté de la France de relancer un autre cadre de négociations puisque le raïs refuse désormais tout contact avec Washington, Le Drian a botté en touche à l’occasion d’une longue périphrase, se disant prêt à « accompagner toutes les initiatives crédibles de relance des négociations ». Raccord avec la position d’Emmanuel Macron, qui considère toujours qu’il faut donner une chance au plan Trump avant d’imaginer la suite, façon polie de remettre le dossier en bas de la pile. Le Président français se rendra à l’automne à Jérusalem et Ramallah, a confirmé Le Drian. Avec peut-être cette fois-là, un timing et un tempo plus favorables.